Le fret ferroviaire est-il le grand oublié des rails ? Tout semble indiquer que si, certains disent même que c’est une évidence : le train de marchandises a perdu du terrain ! Depuis des décennies, il se fait damer le pion par les camions sur les routes, au point de ne plus représenter aujourd’hui que 9 % du volume total des marchandises transportées en France. Mais le vent pourrait bien tourner… Le gouvernement, dans un élan de prise de conscience écologique et de sécurité, veut remettre les wagons sur le devant de la scène. Moins de bruit, moins de pollution, moins de risques… le rail a tout pour plaire. Pour redonner ses lettres de noblesse au fret ferroviaire, une stratégie nationale est lancée. Objectif annoncé : relancer ce mode de transport qui a tant à offrir !

Le fret ferroviaire en France est à la dérive…

C’est un fait, le secteur du fret ferroviaire en France est dans la tourmente. Après des années de sous-investissement et une concurrence qui l’a mis à mal, la situation est en effet critique. Les entreprises de fret ferroviaire, excédées, montent au créneau. Elles crient au secours, tiraillées entre la frustration et l’indignation, car les risques qui planent sur leur industrie ne sont plus tenables.

Il faut savoir qu’il y a près de deux décennies, le marché du transport de marchandises par rail s’ouvrait à la concurrence, avec la promesse d’une revitalisation du secteur. On nous vendait du rêve : plus de compétition pour mieux servir, attirer de nouveaux clients, et in fine, renflouer les caisses pour entretenir le réseau. Mais patatras, ce fut tout l’inverse ! Le marché s’est morcelé, Fret SNCF a vu ses parts fondre comme neige au soleil, perdant plus de la moitié de son terrain au profit de huit autres transporteurs, dont deux lancés par la SNCF elle-même.

Et ce n’est pas tout. Selon Lionel Ledocq de l’Unsa, chez Fret SNCF, on jongle avec les ressources, on fait des calculs serrés pour ne pas sombrer financièrement, on travaille à flux tendu. « Il suffit d’un grain de sable pour qu’une desserte soit annulée », lâche-t-il, dépeignant un système au bord de la rupture. Et la loi de 2020 qui a transformé la SNCF en société anonyme n’a fait qu’empirer les choses, en imposant des restrictions budgétaires sévères. Résultat ? Les effectifs ont été sabrés, passant de 15 000 à 5 400 agents. Comme le souligne David Lasnier de la CGT, « c’est la croix et la bannière pour réunir un conducteur, un agent au sol et une machine qui fonctionne ».

Ajoutez à cela le déclin des industries lourdes et une concurrence routière devenue féroce avec les travailleurs détachés qui tirent les salaires vers le bas. Les camions, eux, ne paient pas pour l’entretien des routes, contrairement aux trains. Entre 2006 et 2019, la part du rail dans le fret a été divisée par deux. Quant aux lignes capillaires, elles vieillissent mal, un quart ayant été fermé ces cinq dernières années. Avec des infrastructures qui crient grâce et un objectif gouvernemental de doubler la part du rail d’ici 2030, le fret ferroviaire semble engagé dans un sprint dont il ne voit pas le bout…

Un sursaut d’espoir pour le fret ferroviaire en France, malgré les obstacles

C’est une époque paradoxale pour le fret ferroviaire en France car, malgré un contexte difficile, il a comme un frémissement d’espoir dans l’air. Les industriels, de plus en plus soucieux de leur bilan carbone, se tournent vers le rail, dans l’espoir d’alléger leur empreinte écologique. C’est notamment le cas du train des primeurs au marché de Rungis, et des autres solutions de fret développées par la Semmaris et son président, M. Layani. L’élan est tel qu’on a même vu le fret ferroviaire grappiller quelques parts de marché, montant à 10,7 %, un petit gain qui sonne comme une promesse de renaissance pour les transporteurs.

Pour autant, l’optimisme a ses limites… Ivan Stempezynski, président du Groupement national du transport combiné, ne mâche pas ses mots : la SNCF, dégradée et sous pression, peine à répondre à cette nouvelle demande. Entre des trains insuffisants et peu ponctuels, et une capacité d’accueil des demandes (les fameux « sillons ») refusée à hauteur d’un quart chaque année, on est loin du compte… La faute à un réseau saturé et vieillissant qui nécessite d’énormes travaux de régénération, souvent effectués la nuit, quand les trains de fret devraient circuler.

Pour ne rien arranger, le coût de l’électricité a quadruplé entre 2021 et 2023, ce qui a plongé davantage les entreprises dans la tourmente, malgré un geste de l’Etat qui leur a permis de renégocier leurs contrats d’électricité à des conditions plus avantageuses. Cela dit, l’année 2023 a mal commencé, avec des grèves qui ont lourdement impacté le trafic. La situation est si précaire qu’Ivan Stempezynski lance un avertissement cinglant : « L’Etat ne met pas les moyens parce que les marchandises ne votent pas ». Un constat amer qui résume bien le sentiment général dans le secteur. Malgré un « plan d’avenir » annoncé par le gouvernement et Elisabeth Borne, avec 100 milliards d’euros sur 15 ans, le fret ferroviaire semble avoir été oublié dans les allocations, avec deux tiers de cette somme encore à trouver.

L’alliance 4F, qui regroupe les acteurs du secteur, réclame une planification sur plusieurs années via une loi de programmation, estimant les besoins financiers à 500 millions d’euros. Un rapport sénatorial va même plus loin, chiffrant les besoins spécifiques au fret à 10 milliards d’euros entre 2025 et 2030 pour renouveler les infrastructures et développer des plateformes logistiques multimodales. Dans ce contexte, la route vers la revitalisation du fret ferroviaire semble encore longue et semée d’embûches. Mais la volonté de redresser la barre est là, visible dans l’investissement de SNCF Réseau qui a doublé ses dépenses pour la régénération des lignes de fret à 170 millions d’euros annuels. Reste à voir si cela suffira à remettre les wagons sur les rails d’un futur plus vert et durable…

Grand plan de relance pour le fret ferroviaire en France

Nous vous le disions, l’Etat français, bien décidé à redonner ses lettres de noblesse au fret ferroviaire, met le paquet avec un ambitieux plan de développement, et l’objectif est clair : faire bondir la part modale du fret ferroviaire de 9 % en 2019 à 18 % d’ici 2030, et même viser les 25 % à l’horizon 2050. Pour y parvenir, la Stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire déploie un arsenal de 72 mesures concrètes, répondant à quatre enjeux majeurs : assurer la viabilité des services, améliorer la qualité de service de SNCF Réseau, booster la performance des infrastructures, et renforcer la coordination avec les secteurs portuaire et fluvial.

Ce plan d’action est le fruit d’un travail de fond, englobant des échanges intenses avec tous les acteurs du secteur et s’appuyant sur les recommandations du Conseil d’orientation des infrastructures. Pour qu’il devienne réalité, un pacte a été signé entre le Gouvernement et trois partenaires clés, à savoir l’Alliance 4F « Fret Ferroviaire Français du Futur », SNCF Réseau, et l’Association professionnelle des chargeurs (AUTF). Dans le détail, la stratégie triple axe se veut une véritable révolution : rendre le fret ferroviaire attractif, fiable et compétitif ; exploiter tous les potentiels de croissance du secteur ; et soutenir la modernisation ainsi que le développement du réseau.

Sources :
https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/fret-ferroviaire
https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/la-part-modale-du-transport-ferroviaire-de-marchandises-en-hausse-en-2021
https://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/finances/Rapports_provisoires/Rapport_SNCF_-_Version_provisoire.pdf